Le premier président de la V République a été la cible de divers attentats, tous manqués. Quel étaient les hommes décidés à abattre le Général ? 

DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE FRANÇAISE, LE général de Gaulle (1890-1970) demeure le chef de la France libre – celui qui, dès le 18 juin 1940, appelle les Français à poursuivre la guerre contre l’Allemagne nazie – et le fondateur des institutions de la V République. On oublie parfois que les années qui ont suivi son retour au pouvoir, en 1958, après douze ans de « traversée du désert , ont été très tourmentées: de Gaulle s’était fait des ennemis décidés coûte que coûte à l’abattre. Pour comprendre la volonté farouche de ces adversaires, il faut revenir au contexte de crise dans lequel, en 1958, le Général a pu apparaitre à certains comme un sauveur. La haine qu’ils lui voueront par la suite est à la mesure de l’espoir qu’ils avaient placé en lui, au début de la V République. Le contexte, c’est celui de la guerre d’Algérie, qui commence en 1954.

L’ALGÉRIE À FEU ET À SANG

Le conflit entre la métropole et les mouvements indépendantistes algériens s’enlise rapidement: les Algériens sont fermement décidés à obtenir l’indépendance que les gouvernements français successifs leur refusent. La métropole mobilise des forces militaires de plus en plus importantes, recourant même, à partir de 1955 et surtout de 1957, aux appelés du contingent. C’est cette guerre qui provoque, en 1958, la chute de la IV République et le retour de De Gaulle au pouvoir, massivement appuyé par les officiers envoyés en Algérie pour rétablir l’autorité française. Le Général n’a sans doute pas alors d’idée très précise sur la manière dont il va régler le problème algérien. Le 4 juin 1958, il se rend à Alger où, s’adressant à la foule des pieds noirs, il s’écrie: « Je vous ai compris ! ».  Cette phrase est perçue par les Français d’Algérie comme un message de soutien sans ambiguïté à la cause de l’Algérie française.

Cependant, le malentendu ne tarde pas à apparaitre. A partir de 1959, de Gaulle se rallie à l’idée de l’autodétermination. Une frange d’activistes- quelques Européens d’Algérie mais surtout des officiers – le considère alors comme un traitre. Ils cherchent d’abord à renverser le Général et son régime, avec l’aide de l’armée. Après l’échec du putsch des généraux à Alger, en avril 1961, ces irréductibles fondent l’OAS (Organisation armée secrète), qui va multiplier les attentats terroristes en Algérie et en métropole. Tuer de Gaulle devient leur objectif numéro un, à partir de l’été 1961.

UN PROJET D’ATTENTAT PAR SEMAINE

Le 8 septembre, le Général décide de passer le week-end dans sa maison de Colombey-les Deux-Églises. Lorsque la DS présidentielle arrive à Pont-sur-Seine, dans l’Aube, une violente explosion retentit, tandis que la route est barrée par un mur de flammes. Le chauffeur de la voiture, un gendarme d’un grand sang froid ne craint pas de traverser le feu à toute allure La voiture n’a que quelques éraflures. Ce premier attentat n’échoue a raison de maladresses techniques dans la fabrication de la bombe. L’homme chargé de déclencher l’explosion était s’ailleurs arrêté peu après l’attentat, ainsi que la plupart des membres du commando auquel il appartient. Ceux-ci affirmeront, lors de leur procès, avoir été manipulés par un agent du gouvernement. Cela étant, comme le confirmera plus tard le témoignage de Belvisi, le but était indéniablement de tuer de Gaulle.

Ce premier échec n’entame en rien la détermination de l’OAS. Les projets d’assassinat se succèdent à un rythme effréné après la signature des accords d’Évian (mars 1962), qui scellent l’indépendance de l’Algérie. Entre mars et septembre 1962, on compte plus d’une tentative par semaine. Le plus souvent, les complots sont éventés avant d’être mis à exécution, grâce à l’efficacité des services de police qui infiltrent des s groupes terroristes. Il est probable que les conjurés ont bénéficié de complicités, parfois en haut lieu, notamment à l’Elysée. Des projets rocambolesques fleurissent : ainsi, en juin 1962, alors que de Gaulle est en voyage officiel dans l’est de la France, un attentat est projeté à Vesoul. Des chiens revêtus de fausses peaux garnies d’explosifs et guidés par des sifflets à ultrasons doivent gagner la tribune où de Gaulle va prononcer un discours. Là encore, la police arrête les conjurés quelques heures seulement avant qu’ils ne commettent leur forfait.

L’ATTENTAT DU PETIT-CLAMART

Le plus célèbre des attentats manqués a lieu le 22 août 1962. Ce jour-là, le Général est conduit vers l’aéroport de Villacoublay, où l’attend un avion pour Colombey. Lorsque le convoi arrive près du rond-point du Petit-Clamart, au sud de Paris, une salve de fusil-mitrailleur est tirée depuis une estafette garée sur le parcours. Le chauffeur de la DS présidentielle fonce, malgré trois pneus crevés, tandis qu’une voiture débouchant d’une rue adjacente le prend en chasse. Finalement, la DS, qui a reçu près d’une centaine d’impacts de balles, arrive à bon port. Le Général et sa femme, qui en échappent, ont beaucoup de chance ! Quinze personnes sont arrêtées dans les jours qui suivent. L’attentat, prévu de longue date, avait déjà connu plusieurs tentatives manquées. Sa cheville ouvrière est Jean-Marie Bastien-Thiry, polytechnicien, ingénieur au service de l’armement et catholique intégriste. Le 4 mars 1963, la cour de justice militaire prononce 6 condamnations à mort, dont 3 par défaut, et 8 condamnations à des peines de prison. Seule la sentence de Bastien-Thiry est mise à exécution, de Gaulle ayant refusé d’user du droit de grâce dans son cas.

Profitant de l’immense émotion suscitée par cet attentat, de Gaulle va, à l’automne 1962, affermir son pouvoir : contre l’avis d’une grande majorité des députés, il fait approuver par référendum le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel. Toutefois, après un bref répit, les derniers irréductibles ne désarment pas : en 1963 (École militaire) et 1964 (Mont-Faron), quelques complots sont déjoués à temps. Pendant ces années fondatrices, le général de Gaulle a été l’un des chefs d’État les plus menacés du monde.