Née en Sicile, la Mafia s’est implantée dans le monde entier. Peut-on lutter efficacement contre elle ?

Pourquoi une région entière passe-t-elle un jour sous le contrôle d’une société secrète de bandits, dont elle subit la loi tout en étant sa complice? Comment ce modèle se diffuse-t-il dans le monde, malgré la lutte de toutes les polices? L’histoire de la Mafia pose tous ces problèmes.

Il est très difficile de dater précisément la naissance de la Mafia. L’origine de son nom est déjà un mystère : il dériverait peut-être de celui d’une dynastie arabe du Moyen Âge, les Maafir, ou d’un mot arabe signifiant « assemblée » ou « dé- fendre ». La Mafia est en effet une société d’hommes fondée, à l’origine, sur deux valeurs fondamentales : le droit et l’honneur. On l’appelle d’ailleurs parfois l’« honorable société ».

EN SICILE, AU XIX SIÈCLE

On a évoqué à son sujet une origine médiévale, mais cette organisation criminelle est plus probablement née au début du XIX siècle à l’initiative de grands propriétaires terriens qui organisent des bandes armées pour imposer leur domination aux paysans. Après le rattachement de la Sicile au royaume d’Italie, en 1860, le peuple a le sentiment d’être oublié par le gouvernement central, qui ne tient pas ses promesses – notamment en ce qui concerne la redistribution des terres agricoles. Réfugiés dans les montagnes, les insoumis qui refusent le service militaire, les anciens soldats de Garibaldi et les petits malfaiteurs constituent un réservoir inépuisable d’hommes de main. La société rurale passe alors progressivement sous le contrôle de la Mafia, avec la complicité des hommes politiques du Nord.

Qui dirige l’organisation criminelle à cette époque ? Principalement des paysans enrichis, des régisseurs de grands domaines et des avocats. Pour devenir un homme d’honneur, l’aspirant mafieux doit se mettre au service d’un chef et accomplir un certain nombre d« actes virils », parmi lesquels le plus courant est le meurtre. Le mafieux échappe à la police grâce à un système complexe de cachettes et à un vaste réseau de solidarités familiales. Le vol d’animaux, le racket, la corruption politique et financière sont alors les activités principales de la Mafia.

AU XX SIÈCLE, UN COMBAT DIFFICILE

L’État italien assiste, impuissant, à l’essor de l’organisation secrète, qui devient le symbole de l’identité sicilienne. Seul le gouvernement fasciste de Mussolini engage une lutte efficace contre la Mafia. Entre 1924 et 1929, le préfet Mori démantèle les bandes armées – beau-coup de mafieux émigrent alors aux États- Unis – et il parvient à faire reculer la criminalité. Mais il est alors limogé par Mussolini, qui souhaite sans doute éviter la mise en cause de dignitaires fascistes.

En 1943, lors du débarquement américain en Sicile, la Mafia soutient les Alliés, avec l’espoir d’obtenir l’indépendance de l’île. Mais elle devra se contenter d’une large autonomie politique, qui lui permettra de mettre la main, dans les années 1950, sur la quasi-totalité de l’appareil économique sicilien.

Avec la complicité de certains membres de la Démocratie chrétienne, le parti alors au pouvoir, la Mafia se consacre désormais à la contrebande, au racket, à la spéculation immobilière et au trafic de drogue. Les règles traditionnelles du code de l’honneur sont abandonnées pour la recherche du seul profit. Dans les années 1970, l’enlèvement contre rançon devient l’une des activités les plus lucratives de l’organisation. Fini le temps des parrains discrets, qui cachaient leur réussite sous une apparente humilité, c’est désormais le triomphe du luxe ostentatoire et de l’esprit d’entreprise capitaliste. La Mafia n’hésite plus à abattre tous ceux qui la gênent : policiers (le général Dalla Chiesa, en 1982), juges (Giovanni Falcone, en 1992), hauts fonctionnaires et hommes politiques. Malgré certains résultats encourageants dans la lutte contre le crime organisé et malgré la révolte d’une part croissante de la population, la Mafia sicilienne – comme son homologue la Camorra napolitaine – conserve aujourd’hui une grande part de son influence.

LA MAFIA AMÉRICAINE

Des films comme le Parrain ou les Incorruptible ont popularisé l’image de la Mafia américaine. Introduite aux États-Unis par des émigrés siciliens à la fin du XIX siècle, elle se développe surtout dans les années 1920, lorsque les chefs mafieux doivent fuir le fascisme. Entre 1919 et 1933, en vertu de la prohibition, la vente d’alcool est interdite sur tout le territoire des États-Unis : la Mafia tirera donc des revenus considérables du trafic d’alcool, mais aussi de la prostitution et des paris clandestins. L’organisation, dirigée par Al Capone puis par Lucky Luciano, contrôle notamment le syndicat des dockers (on lui attribue généralement l’incendie du paquebot Normandie, en 1942) et celui des camionneurs. Dans les années 1950 et 1960, celle contrôle la plus grande part du marché de la drogue, s’adonne à la délinquance financière perfectionnés de blanchiment d’argent. Elle celle qu’on appelle Cosa Nostra (notre cause) intervient dans les campagnes électorales. Depuis les années 1970, à grande échelle et a mis en place des systèmes semble avoir encore de beaux jours devant elle.