L’effondrement de l’URSS a laissé l’Europe de l’Est et la Russie en plein désarroi. Quelles sont les raisons de cette désintégration?

L’histoire, celle de l’Europe en particulier, montre que les empires sont mortels. L’empire d’Alexandre le Grand, ceux de Rome et de Byzance, l’empire de Charlemagne ou celui de Napoléon… tous se sont écroulés – sous les coups des invasions ou de divisions internes. Le XX siècle est à cet égard une période particulièrement fertile en bouleversements. Après la Première Guerre mondiale, les quatre grands empires – Autriche-Hongrie, Allemagne, Russie, Empire ottoman – disparurent. Un certain équilibre paraissait s’être établi après 1945, entre une Europe de l’Ouest proche des États-Unis et une Europe de l’Est soumise à l’influence soviétique. L’URSS elle-même constituait un immense empire supranational, de la mer Baltique à l’océan Pacifique. Son brusque effondrement a donc surpris les dirigeants occidentaux et les experts en géopolitique. En 1917, le régime impérial des tsars est renversé, miné par la guerre et par l’antagonisme entre une petite minorité de possédants et une immense majorité de paysans et d’ouvriers misérables. En quelques mois, le parti bolchevique conduit par Lénine s’empare du pouvoir et, après une longue guerre civile contre les Russes blancs (favorables au régime impérial), prend le contrôle de toute la Russie. Les bolcheviques se considèrent comme l’avant-garde de la révolution mondiale, qui entend mettre fin à la lutte des classes en instaurant dans une première étape la dictature du prolétariat. Soixante-quatorze ans plus tard, le 8 décembre 1991, le président russe Boris Ieltsine – un apparatchik, pourtant, qui a fait toute sa carrière au sein du parti communiste – déclare que l’Union des républiques socialistes soviétiques n’existe plus, et met fin à des décennies de répression, de violence et de peur.

LA RÉPRESSION STALINIENNE

L’effondrement de l’URSS a des causes multiples, mais il tient sans doute pour une grande part à une politique étrangère dangereuse et très coûteuse. Les bolcheviques se sont trompés sur le caractère inéluctable de la révolution mondiale: dans la plupart des pays, la transition vers un État socialiste s’est opérée dans la violence et contre la volonté des peuples. Après la mort de Lénine, en 1924, son successeur, Joseph Staline, qui abandonne de fait l’idée d’une révolution mondiale, applique une politique expansionniste proche de l’impérialisme des tsars. La politique du nouveau secrétaire général du Parti est particulièrement brutale. Toute forme d’opposition ou de critique est éliminée. L’Union soviétique vit dans la peur et la répression. Toute dissidence est punie d’emprisonnement, d’exil ou de mort. Dans les années 1930, Staline engage la collectivisation forcée des terres agricoles, mesure qui provoque une terrible famine et la mort de millions de paysans. Après la Seconde Guerre mondiale, l’URSS prend le contrôle de toute l’Europe orientale : la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Allemagne de l’Est deviennent des « démocraties populaires » et tombent sous la domination soviétique. Le maintien du socialisme dans ces pays coûte très cher, car l’URSS doit soutenir leur économie tout en y entretenant de nombreuses troupes. En outre, la guerre froide entraine la course aux armements avec les Etats-Unis et l’ouverture de nombreux « fronts secondaires», en Asie du Sud- Est, au Moyen-Orient, en Afrique ; plus tard en Amérique du Sud et à Cuba. Cependant, le joug est mal supporté par les pays occupés. Berlin en 1953, après la mort de Staline, Budapest en 1956, Prague en 1968, Gdansk et Varsovie en 1980, autant de soulèvements nationaux où la révolte – généralement pacifique – contre l’occupant soviétique ne signifie pas forcément le rejet de l’idéal communiste. Tous ces mouvements sont pourtant écrasés dans le sang par l’Armée rouge. La construction du mur de Berlin, en 1961, est le symbole du totalitarisme soviétique : un nombre croissant d’intellectuels et de sympathisants s’éloignent alors d’un régime qui va jusqu’à édifier un mur pour empêcher ses citoyens de s’échapper.

GORBATCHEV ET LA GLASNOST

Alors que les peuples d’Europe de l’Est contestent le régime communiste, celui-ci n’est pas tout d’abord remis en question par les Soviétiques eux-mêmes, à l’exception de quelques intellectuels dissidents, comme Soljenitsyne ou Sakharov, qui ne rencontrent pas un grand écho dans le pays : le climat de peur créé par Staline gagné toute la société soviétique. L’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, en 1979, va changer la donne. La guerre isole diplomatiquement l’URSS. Elle coûte cher et déstabilise une économie déjà fragile. Surtout, elle entraine de lourdes pertes humaines, qui créent un profond désarroi dans la population, jusqu’alors convaincue par la propagande de l’invincibilité de l’Armée rouge et de la justesse des causes qu’elle défend. Lorsqu’il arrive au pouvoir, en 1985, Mikhail Gorbatchev trouve un pays en pleine déliquescence, où l’insatisfaction et le découragement se répandent comme une épidémie. Dans les diverses républiques, la résistance s’organise. Gorbatchev tente de résoudre certaines de ces tensions en mettant en place une politique de transparence (glasnost, en russe) qui ouvre un espace au débat politique. Très vite, les oppositions longtemps contenues par la crainte commencent à s’exprimer. Dans les républiques baltes de Lettonie, d’Estonie et de Lituanie (annexées à la faveur du pacte germano-soviétique de 1939), des fronts antisoviétiques se forment. Au cours de l’année 1989, les pays d’Europe de l’Est se détachent du communisme. Ce mouvement culmine avec la chute du mur de Berlin, l’accession du dissident Václav Havel à la présidence de la Tchécoslovaquie et le renversement du dictateur roumain Ceausescu. En 1989 et 1990, grèves et manifestations se multiplient en URSS. Gorbatchev fait de timides tentatives de réformes. En août 1991, les conservateurs communistes tentent un coup d’État, qui échoue en raison de la mobilisation des Moscovites, conduits par le président russe Boris leltsine. Quelques semaines plus tard, Gorbatchev démissionne du secrétariat général du Parti, puis de la présidence de l’URSS. Sur le Kremlin, les couleurs de la Fédération de Russie remplacent le drapeau soviétique.