Un archéologue amateur a découvert la cité de Troie, mais y a-t-il le moindre indice qu’une bataille y ait été remportée par les Grecs?

L’ILIADE, OÙ HOMERE FAIT LE RÉCIT DE LA guerre de Troie, est l’une des plus importantes épopées antiques. Des générations d’écoliers sont restées captivées par ses héros magnifiques, ses combats sanglants, la description éclatante de la victoire des Grecs et de la défaite des Troyens. C’est indiscutablement une œuvre magistrale, mais se fonde-t-elle sur la réalité? Longtemps, la plupart des auteurs ont affirmé son authenticité. Le grand historien grec Thucydide soutient qu’il y a réellement eu une guerre de Troie, mais il est né en 460 av. J.-C., soit plus de 800 ans après les événements sup- posés. En dernière analyse, Homère demeure notre seule véritable source, mais personne ne sait qui il était, ni d’où il venait, ni par quel biais il connaissait tous les détails de l’histoire de Troie. S’il a existé, le poète vivait entre 900 et 700 av. J.-C., c’est-à-dire quatre siècles au moins après les faits qu’il relate. Les érudits se sont donc demandé si la cité de Troie n’était pas elle même un mythe. Personne ne savait où elle se trouvait, et beaucoup la soupçonnaient de n’être que le fruit de l’imagination des Grecs, un symbole destiné à glorifier la puissance d’Athènes.

LA QUÊTE DE SCHLIEMANN

Un homme d’affaires allemand est à l’origine de l’une des plus fabuleuses découvertes archéologiques de tous les temps. Après avoir amassé une fortune considérable dans le commerce international, Heinrich Schliemann s’emploie à trouver les preuves qui établiraient la véracité de l’épopée homérique. Il recherche d’abord le palais d’Ulysse, puis la cité de Troie. En 1871, utilisant les textes grecs pour guider ses fouilles et aidé par près de cent ouvriers, il commence à dégager la colline d’Hisarlik, sur la côte turque de la mer Égée. La foi de Schliemann dans les textes d’Homère le sert: en creusant, il découvre neuf villes superposées, dont la plus ancienne remonte à la fin de l’âge du bronze, vers 2500 av. J.-C.

Le 14 juin 1873, la veille de son départ, Schliemann met au jour l’un des plus importants trésors archéologiques jamais découverts. Il contient près de 8 700 coupes, anneaux, bracelets d’or et de pierreries. Il l’appelle le Trésor de Priam, du nom du roi de Troie que met en scène l’Iliade. En réalité, la couche dans laquelle le trésor est enfoui correspond à une époque antérieure de près d’un millénaire à celle de Priam. Cette découverte a cependant montré de manière convaincante qu’une ville a effectivement existé sur le site de Troie. Reste que la présence d’une ville ne prouve pas qu’elle a été en guerre contre les Grecs. Les archéologues ont depuis lors découvert de hautes murailles tout autour de la cité qui suggèrent l’existence d’une société militaire, mais sans aucun indice qu’une armée ait jamais campé à l’extérieur, alors qu’Homère évoque des forces assiégeantes considérables, de près de 110 000 hommes. En fait, les historiens sont persuadés que, s’il y eut une guerre, elle n’a pas pu durer dix ans, comme l’affirme l’Iliade. Il s’agit là des exagérations propres au genre épique car, à cette époque, les armées comptaient tout au plus quelques milliers d’hommes, et les campagnes ne se prolongeaient pas au-delà de quelques mois.

NI CHEVAL NI HÉLÈNE ?

Reste la célèbre légende du cheval de Troie, animal de bois gigantesque à l’intérieur duquel les Grecs s’étaient glissés et grâce auquel ils parvinrent à pénétrer dans la cité: croyant qu’il s’agissait d’un don des dieux, les Troyens le firent entrer dans leurs murs… On n’a trouve aucun vestige d’un tel engin lors des fouilles, et rien ne prouve que cette histoire se fonde sur un épisode réel. Elle peut toutefois s’inspirer de machines de siège monumentales, dont l’usage à l’époque de la guerre de Troie n’est pas exclu. Le rôle d’Hélène – la belle princesse grecque dont l’enlèvement par le prince troyen Pâris provoqua la guerre de Troie – est lui aussi sujet à caution. Selon Homère, sa beauté a suffi pour que des milliers de navires se lancent à sa recherche, mais aucun document historique de l’Antiquité ne mentionne son nom. Les défenseurs du texte d’Homère estiment que la trame générale est exacte, même si certains événements, recueillis par le poète au terme de plusieurs siècles de transmission orale, peuvent avoir été transformés. Les conteurs auraient progressivement modifié l’histoire, en l’adaptant aux thèmes et aux héros tradition- nels qu’ils avaient à leur répertoire. C’est ainsi que se serait élaborée la version qu’Homère a fixée le premier et qui est devenue celle que nous connaissons depuis l’Antiquité. Mythe, réalité ? Là encore, nous ne pouvons trancher avec certitude, mais nous continuerons, comme les Grecs, d’être émerveillés par l’un des plus fascinants récits de tous les temps.